La définition officielle de la douleur a été modifiée en Juillet 2020 par l’IASP. Pourquoi ? L’ancienne définition datait de 1979, et les connaissances sur ce qu’est la douleur ont beaucoup évolué depuis. La classification des douleurs chroniques par l’OMS (la référence internationale) a aussi profondément été remaniée en janvier 2021. En effet la douleur chronique est à présent reconnue comme une maladie à part entière.
Ces changements montrent l’évolution du regard des chercheurs et des médecins sur la douleur. Mais elle tient aussi compte du retour des personnes qui en souffrent. Cela montre aussi à quel point il est important de se tenir informé régulièrement, pour ne pas rester sur des modèles complètement dépassés de la douleur.
Bio-Psycho-Social
Le modèle Bio-Psycho-Social est au cœur de cette nouvelle définition, de ses six notes associées et de la nouvelle classification de l’OMS. C’est un point extrêmement important pour moi puisque Couleurs Chroniques est basé sur cette approche.
Il est à présent largement reconnu que les facteurs psychologiques et sociaux peuvent aussi jouer un rôle dans le ressenti de la douleur, en plus des facteurs physiques. Et donc jouer sur ces différents facteurs peut avoir un impact réel sur la douleur. Cela légitimise donc le fait de s’intéresser aux thérapies psychologiques.
La fin du modèle purement nociceptif et des « troubles somatiques »
Ces nouvelles définitions et classifications montrent à quel point il est aujourd’hui accepté que la douleur n’est pas seulement structurelle / nociceptive et signe de lésions physiques. « La douleur ne peut être déduite uniquement de l’activité des neurones sensoriels. »
« Certains types de douleur, comme par exemple dans la fibromyalgie et le syndrome du côlon irritable – et les céphalées de tension !-, peuvent ne pas être associés à des lésions tissulaires mais à un dysfonctionnement du système nerveux. »
La douleur n’est plus classifiée comme un simple symptôme d’une autre maladie mais peut être reconnue comme une maladie en elle même dans certains cas. De plus les douleurs que la médecine ne peut pas expliquer (pour l’instant!) ne passent plus dans la catégorie « Somatic Symptome Disorders » qui auraient relevés d’un « trouble mental » et de la psychiatrie. C’est donc une reconnaissance claire que la douleur n’est pas imaginée par les personnes qui en souffrent, que ce n’est pas une affection mentale.
Pour une prise en charge globale plus respectueuse des patients
Ces nouvelles définitions insistent aussi sur le fait qu’il faut plus prendre en compte et respecter le vécu des patients, dans tous les domaines de leur vie. Notamment à quel point la douleur chronique peut affecter leurs fonctionnements, ainsi que leur vie psychologique et sociale.
C’est même dans la définition de la douleur chronique primaire de l’OMS (voir plus loin). En effet celle-ci est « caractérisée par une détresse émotionnelle importante (anxiété, colère/frustration ou humeur dépressive) ou une incapacité/handicap fonctionnel/le (interférence dans les activités de la vie quotidienne et réduction de la participation aux rôles sociaux). »
Enfin une prise en charge globale est recommandée, avec une approche interdisciplinaire. L’idée est de proposer aux personnes souffrant de douleurs chroniques une variété de thérapies pour personnaliser leur traitement. C’est aussi l’état d’esprit de Couleurs Chroniques : partager plein d’outils dans lesquels chacun peut piocher selon sa situation et ses besoins. A la fois physiques, psychologique et sociaux !
Qu'est ce que l'IASP ?
L’IASP, c’est l’ « International Association for the Study of Pain », en français « l’association internationale pour l’étude de la douleur ». Elle rassemble des scientifiques, médecins, prestataires de soins de santé et des décideurs du monde entier. Son siège est à Washington DC, aux Etats-Unis.
Le site internet de l’IASP explique sa mission : travailler ensemble pour le soulagement/la libération de la douleur dans le monde. Son objectif est d’encourager et soutenir l’étude de la douleur. Ainsi que de traduire les connaissances obtenues pour améliorer le traitement de la douleur dans le monde entier.
Jusqu’en 2020, la définition officielle de la douleur, globalement acceptée au niveau international – et en France – était celle écrite en 1979 par l’IASP. On la retrouve par exemple encore sur le site officiel du Ministère français des solidarités et de la santé (pas encore mis à jour avec la définition de 2020). C’est aussi encore la définition donnée en premier sur le site Wikipedia francophone. C’était donc vraiment LA référence jusqu’à maintenant. A noter que c’est déjà la nouvelle définition de 2020 qui apparait en premier sur le Wikipedia anglais.
La nouvelle définition de la douleur
Un projet de deux ans
C’est en 2018 que l’IASP a débuté ce projet de mettre à jour la définition de la douleur. Un groupe de travail international de 14 « experts » a écrit les bases de la nouvelle définition. Une large consultation a ensuite été menée auprès des scientifiques, des soignants mais aussi des personnes souffrant de douleurs chroniques.
Cette définition révisée a été introduite dans ce communiqué de l’IASP du 16 Juillet 2020.
« Pour la première fois depuis 1979, l’IASP introduit une définition révisée de la douleur, l’aboutissement d’un processus de deux ans qui, l’association l’espère, conduira à de meilleures méthodes pour évaluer et traiter la douleur. Elle est élargie par l’ajout de six notes essentielles ainsi que l’étymologie du mot douleur pour améliorer son contexte. »
L’IASP a publié ce document officiel (pdf) ainsi qu’une affiche, en image et traduite ci-dessous. Enfin on trouve tous les détails du processus de révision dans cet article publié dans le Journal Pain en septembre 2020 (avec un envoi en mars 2020 et une acceptation en mai 2020).
Le groupe de travail de l’IASP à l’origine de cette définition révisée :
Président : Srinivasa Raja, Médecin (USA)
Dan Carr, Médecin (USA)
Milton Cohen, Médecin (Australie)
Nanna Finnerup, Médecin (Danemark)
Herta Flor, Chercheur (Allemagne)
Stephen Gibson, Chercheur (Australie)
Francis Keefe, Chercheur (USA)
Jeffrey Mogil, Chercheur (Canada)
Matthias Ringkamp, Médecin, Chercheur (USA)
Kathleen Sluka, PT, Chercheur (USA)
Xue Jun Song, Médecin, Chercheur (Chine)
Bonnie Stevens, RN, Chercheur (Canada)
Mark D. Sullivan, Médecin, Chercheur (USA)
Takahiro Ushida, Médecin, Chercheur (Japon)
Traduction de l'affiche
Après plus de 40 ans : Révision de la définition de la douleur de l’IASP et de ses Notes
La définition de la douleur actuellement acceptée était à l’origine celle adoptée en 1979 par l’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur (IASP).
Définition de la douleur de 1979 :
« Une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en ces termes« .
Définition de la douleur révisée en 2020 :
« Une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle. »
Le groupe de travail
En 2018, l’IASP a constitué un groupe de travail international de 14 membres ayant de l’expertise dans la science fondamentale et clinique de la douleur, et qui a recherché la contribution de toutes les parties prenantes pour répondre à cette question :
« Les progrès de nos connaissances sur la douleur depuis des années nécessitent – ils une réévaluation de sa définition ? »
Les consultants experts, le conseil de l’IASP et le public ont contribué à la réponse d’aujourd’hui.
Les notes associées à cette définition révisée 2020 de la douleur
- La douleur est toujours une expérience personnelle qui est influencée à des degrés divers par des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. (C‘est le modèle BioPsychoSocial !!!)
- La douleur et la nociception sont des phénomènes différents. La douleur ne peut être déduite uniquement de l’activité des neurones sensoriels.
- A travers leurs expériences de vie, les individus apprennent le concept de la douleur.
- La manière dont une personne présente une expérience comme de la douleur devrait toujours être respectée.
- Bien que la douleur joue généralement un rôle adaptatif, elle peut avoir des effets nocifs sur le fonctionnement d’un individu et son bien-être social et psychologique.
- La description par la parole n’est qu’un des nombreux comportements pour exprimer la douleur; l’incapacité de communiquer ne nie pas la possibilité qu’un humain ou un animal non humain éprouve de la douleur.
Informations complémentaires
Le document officiel pdf publié par l’IASP, nous donne d’autres informations, dont voici la traduction. (J’ai ajouté seulement ce qui est en plus de l’affiche):
L’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur a révisé la définition de la douleur, une norme qui a été respectée dans le monde entier depuis sa création en 1979.
«La définition révisée a été un véritable effort de collaboration. Elle a été rédigée par un groupe de travail international, multidisciplinaire qui a reçu la contribution de nombreux intervenants, y compris des personnes souffrant de douleurs et leurs soignants », a déclaré Srinivasa N. Raja, Médecin et Président du groupe de travail de l’IASP, et Directeur de Recherche sur la douleur, professeur d’anesthésiologie et de médecine des soins intensifs, et professeur de Neurologie à l’École de médecine de l’Université Johns Hopkins (à Baltimore, Maryland, USA).
La nouvelle définition a été élargie par l’ajout de six Notes Clés.
Etymologie
L’étymologie du mot Douleur (= Pain en anglais) a également été incluse dans la définition révisée : de l’anglo-français « peine » (douleur, souffrance), du latin « poena » (peine, punition), à son tour du grec « poinē » (paiement, pénalité, compensation).
La définition révisée a été publiée en juillet 2020 dans le journal officiel de l’association, PAIN, avec un commentaire associé du président Lars Arendt-Nielsen et de la présidente précédente, Judith Turner :
«L’IASP et le Groupe de Travail qui a rédigé cette nouvelle définition et les notes qui l’accompagnent ont cherché à mieux transmettre les nuances et la complexité de la douleur, en espérant que cela conduira à de meilleures compréhensions et prises en charge des personnes souffrant de douleur», a expliqué le Dr Raja.
« La douleur n’est pas simplement une sensation et ne se limite pas à des signaux qui traversent le système nerveux en tant que résultat de lésions tissulaires », a-t-il déclaré.
« Avec une meilleure compréhension de l’expérience de la douleur de chaque individu, nous pourrons peut-être, grâce à une approche interdisciplinaire, ajouter une variété de thérapies pour personnaliser le traitement de sa douleur », a-t-il ajouté.
La douleur chronique selon l'OMS
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) publie officiellement le Classement International des Maladies (CIM) , qui est utilisé par les médecins / psychiatres du monde entier. C’est une référence importante, une « norme internationale ». Elle est régulièrement révisée pour tenir compte de l’avancée des connaissances scientifiques et médicales. La dernière révision – la 11ème – est entrée en effet le 1 Janvier 2021. On parle de la « CIM-11 » ou « ICD-11 » en anglais (« International Classification of Diseases »-11).
10 ans de travail
Le site de l’OMS donne plus de détails sur cette révision :
« La CIM-11, qui a demandé plus de 10 ans de travail, comporte des améliorations significatives par rapport aux versions antérieures. Pour la première fois, elle est complètement électronique, et présentée sous un format bien plus convivial.
De plus, la participation des professionnels de santé a pris une ampleur sans précédent, moyennant des réunions collaboratives et la soumission de propositions. L’équipe de la CIM au Siège de l’OMS a ainsi reçu plus de 10 000 propositions de révision. »
Reclassification de la douleur chronique
Cette 11ème révision a reclassifié la douleur chronique dans une approche complètement alignée avec la définition de la douleur de l’IASP, les deux organismes coopérant ensemble. (Pour plus de détails, voir Treede et al. Pain 2019).
La CIM-11 donne la nouvelle définition de la douleur chronique, dont voici la traduction :
La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée ou ressemblant à celle associée à des lésions tissulaires réelles ou potentielles. La douleur chronique est une douleur qui persiste ou est récurrente pendant plus de 3 mois. La douleur chronique est multifactorielle : des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux contribuent au syndrome douloureux.
On retrouve donc exactement la définition de la douleur de l’IASP présentée plus haut. « Chronique », c’est donc officiellement plus de 3 mois, même s’ils expliquent que ça reste un peu arbitraire mais cohérent. Et on retrouve le modèle Bio-Psycho-Social, ce qui est particulièrement important pour moi. L’intégrer ainsi dans la définition marque bien la volonté de l’OMS de ne pas rester aux facteurs purement physiques.
Et surtout elle reconnaît que la douleur chronique peut ou non être associée à des lésions tissulaires. En effet la classification de la douleur chronique de la CIM-11 code pour sept principaux diagnostics de douleur chronique, dont le premier n’est pas associé à des lésions tissulaires spécifiques, ni à une autre maladie sous-jacente : la douleur chronique primaire.
La Douleur Chronique Primaire reconnue comme une maladie
Jusqu’à récemment, la douleur n’était considérée que comme un symptôme d’autres maladies. Là c’est la première fois que la douleur chronique est reconnue comme une maladie à part entière, comme l’explique cet article en anglais :
« La douleur primaire chronique est un nouveau concept né de l’idée que les maladies ou les affections à long terme associées à la douleur chronique doivent être reconnues en tant que telles, même si une compréhension claire de l’étiologie ou de la physiopathologie sous-jacente fait défaut.
Cela marque un éloignement délibéré de la pratique consistant à étiqueter la douleur inexpliquée comme un Somatic Symptome Disorder (SSD) = « trouble symptomatique somatique ».
Un diagnostic de SSD impliquait que la douleur est causée par un état comportemental, c’est-à-dire une affection mentale. Cependant, il n’est pas approprié de diagnostiquer des personnes comme atteintes d’un trouble mental uniquement parce qu’une autre cause médicale ne peut pas être établie. Un tel diagnostic ne peut être basé que sur des critères psychiatriques clairs. »
Ces phrases me font énormément de bien, j’espère que ça finira par arriver dans la formation de tous les personnels de santé. C’est la fin des « troubles somatiques » qui accusaient, mettaient une étiquette de problème mental honteux, en plus sans savoir le soigner.
Voici donc la définition de la douleur chronique primaire par l’OMS, la catégorie MG30.0 (celle qui m’intéresse le plus car c’est celle de mes céphalées de tension. De plus la plupart des thérapies psychologiques dont je parle sont testées sur des patients relevant de cette catégorie) :
« La douleur primaire chronique est une douleur chronique dans une ou plusieurs régions anatomiques qui est caractérisée par une détresse émotionnelle importante (anxiété, colère/frustration ou humeur dépressive) ou une incapacité fonctionnelle (interférence dans les activités de la vie quotidienne et réduction de la participation aux rôles sociaux).
La douleur primaire chronique est multifactorielle : des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux contribuent au syndrome douloureux. Le diagnostic est approprié indépendamment des contributeurs biologiques ou psychologiques identifiés, à moins qu’un autre diagnostic ne rende mieux compte des symptômes présentés. »
Les 5 catégories de douleur chronique primaire
- viscérale (épigastrique, vessie, pelvienne, abdominale..)
- diffuse (fibromyalgie)
- musculosquelettique (lombalgie, douleurs cervicales, thoraciques, dans les membres…)
- maux de tête et douleur orofaciale, avec 3 sous catégories : migraines, Burning Mouth et Céphalée de Tension : classe 8A81-2
- « Complex Regional Pain Syndome » – CRPS
Les Douleurs Chroniques Secondaires
Les 6 autres sous-groupes de la douleur chronique correspondent à une maladie / condition sous-jacente :
– MG30.1 Cancer
– MG30.2 Post-traumatique et postchirurgicale
– MG30.3 Musculosquelettique
– MG30.4 Viscérale
– MG30.5 Neuropathique (lésion ou maladie structurelles du système nerveux somatosensoriel)
– MG30.6 Céphalée secondaire/ orofaciale (causes structurelles / maladies claires)
Voir l’interview qui suit pour plus de détails…
Pour approfondir : Interview de certains membres du groupe de travail de l'IASP
Dans cet article paru sur le site Practical Pain Management (PPM ensuite) on obtient plus d’informations sur cette nouvelle définition de la douleur, grâce à l’interview de 3 des membres du groupe de travail en charge de son écriture. En voici la traduction intégrale :
« Pendant des décennies, la gestion de la douleur a tourné autour des lésions tissulaires et de la nociception, mais l’expérience de la douleur est bien plus que cela. Avec des facteurs neuropathiques, sociaux et cognitifs également en jeu, la «douleur» représente un fonctionnement bien plus complexe.
Questions / réponses avec :
- Srinivasa N.Raja : Le président du groupe de travail de l’IASP, médecin, directeur de recherche sur la douleur, professeur d’anesthésiologie et de médecine des soins intensifs, professeur de neurologie à l’École de Médecine de l’Université Johns Hopkins, Etats-Unis
- Jeffrey Mogil, Docteur en Sciences, membre du groupe de travail, directeur du Centre Alan Edwards de Recherche sur la Douleur, Université McGill, Canada
- Nanna Finnerup, Médecin et Docteur en Sciences, membre du groupe de travail, Département de médecine clinique, Centre danois de recherche sur la douleur et Département de neurologie, Université d’Aarhus, Danemark
Pourquoi redéfinir la douleur maintenant?
PPM: Quels sont les domaines de connaissances spécifiques dans la compréhension de la douleur qui ont poussé le groupe de travail à effectuer ce changement? En d’autres termes, pourquoi faire ce changement maintenant?
Dr Raja: La définition originale de l’IASP, rédigée en 1979, a été acceptée dans le monde entier par les professionnels de la santé et les chercheurs dans le domaine de la douleur, et adoptée par plusieurs organisations professionnelles, gouvernementales et non gouvernementales, y compris l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Bien que la liste des termes de douleur associés ait été révisée et mise à jour ces dernières années, la définition de l’IASP de la douleur elle-même est restée inchangée pendant quatre décennies. Au fil des ans, divers progrès dans notre compréhension de la douleur dans son sens le plus large ont justifié une réévaluation de sa définition.
Critiques sur l’ancienne version
Certaines des critiques de l'[ancienne] définition de l’IASP incluaient qu’elle était «cartésienne» – ignorant la multiplicité des interactions corps-esprit, et qu’elle négligeait «les dimensions éthiques de la douleur».
En outre, la définition antérieure a été interprétée comme mettant trop l’accent sur l’auto-évaluation verbale [des patients] et excluait les comportements non verbaux indiquant la douleur chez les populations démunies et négligées, telles que les nouveau-nés et les personnes âgées. De plus, elle ne prenait pas en compte les facteurs cognitifs et sociaux fondamentaux dans l’expérience de la douleur.
Reconnaissance des dysfonctionnements du système nerveux
Enfin, des recherches menées ces dernières années ont indiqué que certains types de douleur (à savoir la douleur nociplastique), comme par exemple dans des conditions telles que la fibromyalgie et le syndrome du côlon irritable, peuvent ne pas être associés à des lésions tissulaires mais être associés à un dysfonctionnement du système nerveux. Le groupe de travail s’est concentré sur la réponse à ces critiques dans la définition révisée et ses notes d’accompagnement.
Pour modifier la définition, le groupe de travail a sollicité les avis de multiples intervenants, y compris des cliniciens, des chercheurs, des philosophes et le public – qui comprenait des personnes souffrant de douleurs et leurs soignants.
Se concentrer sur l'expérience de la douleur et le vécu réel
PPM : La nouvelle définition a un changement très mineur dans les mots, mais avec six nouveaux points – quel était le raisonnement derrière ces quelques mots?
Dr Mogil : Ce changement de mots résout un problème important avec la nouvelle définition. Dans l’ancienne définition, le mot «décrite» dans la phrase «ou décrite en ces termes» semblait impliquer qu’une communication verbale (qu’est-ce, après tout, une «description» si ce n’est de la communication verbale?) était nécessaire pour que la douleur puisse exister. Ce n’est plus le consensus des communautés scientifiques et médicales sur la douleur, qui s’accordent depuis un certain temps sur le fait que les êtres non verbaux (par exemple, les bébés, les adultes atteints de démence) sont parfaitement capables de ressentir de la douleur.
Croire les patients souffrant de douleur lorsqu’ils affirment qu’ils ont mal.
Le libellé de la nouvelle définition – «ou ressemblant à celle associée à…» – n’exige aucune description verbale. Il place également la responsabilité de la perception de la douleur sur la personne qui la vit / en fait l’expérience, alors que selon l’ancienne définition, une partie de cette responsabilité incomberait à celui qui entendrait la description. Ce changement est également conforme aux meilleures pratiques actuelles sur le fait de croire les patients souffrant de douleur lorsqu’ils affirment qu’ils ont mal.
Dr Raja : Bien que les changements dans la définition puissent sembler mineurs, des changements considérables ont été apportés par les Notes qui accompagnent la définition, pour refléter la compréhension scientifique actuelle de la douleur. Cela comprend aussi la suppression de la phrase dans les notes précédentes qui déclarait que «la douleur en l’absence de lésion tissulaire ou de toute cause pathophysiologique probable» était généralement due à des raisons psychologiques.
La Douleur au-delà de la nociception
PPM : Pouvez-vous développer la note n ° 2 qui déclare: «La douleur et la nociception sont des phénomènes différents. La douleur ne peut être déduite uniquement de l’activité des neurones sensoriels. » ?
Dr Mogil : La douleur, comme toutes les autres sensations et émotions, passe par des circuits neurobiologiques dans le système nerveux. Dans de nombreux cas (mais pas tous), des informations sur des lésions tissulaires réelles ou potentielles à la périphérie sont transmises au cerveau via les neurones sensoriels («nocicepteurs»). Ainsi, la douleur comme expérience est souvent produite par la nociception – l’activité des nocicepteurs (et d’autres neurones du système nerveux). Il y a donc une envie compréhensible d’essayer de simplifier le fonctionnement de la douleur en se concentrant sur l’activité de ces neurones sensoriels.
Cependant, les preuves scientifiques actuelles suggèrent qu’il s’agit d’une erreur.
Les niveaux de douleur ne peuvent pas être déduits correctement des niveaux d’activité des neurones sensoriels. La douleur est bien plus que la nociception.
Dégâts dans les tissus, douleur neuropathique et les définitions de la douleur CIM-11
PPM : Comment la définition mise à jour de l’IASP s’aligne-t-elle sur la reclassification de la douleur chronique de l’ICD-11 (= « International Classification of Diseases », CIM-11 en français, voir le paragraphe sur l’OMS au-dessus) ?
Dr Finnerup : La CIM-11 est la dernière révision de la Classification Internationale des Maladies de l’OMS. Elle comprend pour la première fois une classification de la douleur chronique. La nouvelle définition de la douleur et la classification de la douleur chronique dans la CIM-11 sont deux étapes importantes et alignées dans le but d’améliorer la compréhension de la douleur et son traitement multimodal.
La classification de la douleur chronique de la CIM-11 code pour sept principaux diagnostics de douleur chronique. Conformément à la nouvelle définition, la classification de la CIM-11 reconnaît que la douleur chronique peut ou non être associée à des lésions tissulaires (voir Treede et al. Pain 2019).
Douleur musculo-squelettique
À titre d’exemple de douleur liée à des dégâts dans les tissus et à l’activation des nocicepteurs, la douleur secondaire chronique musculosquelettique est une douleur dans les muscles, les os, les articulations ou les tendons qui résulte d’une maladie sous-jacente, comme une inflammation persistante dans les maladies rhumatologiques ou des changements structurels dans l’arthrose (voir Perrot, et al. Pain 2019).
La douleur neuropathique
La douleur neuropathique, par contre, est définie comme une douleur causée par une lésion ou une maladie du système nerveux somatosensoriel et n’est pas causée par l’activation des nocicepteurs.
Douleur chronique primaire
Un autre exemple de diagnostic de douleur non liée à une lésion tissulaire est la douleur primaire chronique, qui est définie comme une douleur associée à une détresse émotionnelle ou à une incapacité/handicap fonctionnelle et qui ne peut pas être mieux expliquée par une autre douleur chronique (voir Nicholas et al., Pain, 2019)
Les subdivisions de ce diagnostic comprennent la fibromyalgie, le syndrome du côlon irritable et la douleur musculo-squelettique primaire chronique, qui contraste avec la douleur secondaire chronique. La douleur chronique primaire n’est pas attribuée à une maladie connue ou à un processus de lésion avec activation des nocicepteurs.
L’inclusion de ce diagnostic dans la CIM-11 présente les avantages de minimiser les procédures de diagnostic inutiles, de se concentrer rapidement sur la gestion de l’impact de la douleur et d’un plus grand potentiel pour une approche centrée sur le patient (voir Smith, et al., Pain 2019.)
En résumé, la nouvelle définition de l’IASP a pour but d’inclure la douleur de différentes étiologies et mécanismes dans la nouvelle classification CIM-11 de la douleur chronique.
Mise en pratique
PPM: Quels enseignements les soignants dans le domaine de la douleur peuvent-ils tirer de cette définition mise à jour de la douleur par l’IASP ? Le but est-il de se concentrer davantage sur la communication avec les patients en utilisant une approche biopsychosociale?
Dr Raja: L’IASP et le groupe de travail ont rédigé la définition révisée et les notes connexes dans l’espoir qu’une meilleure compréhension des multiples facteurs qui contribuent à l’expérience de la douleur d’un individu puisse conduire à une meilleure communication entre le patient et les soignants et ainsi entraîner de meilleures évaluations et prises en charge de sa douleur.
Les Notes révisées de la définition soulignent que la douleur peut avoir des effets néfastes sur le fonctionnement ainsi que le bien-être social et psychologique. Nous espérons également que la définition révisée encouragera la personne souffrant de douleurs à transmettre une image plus complète des effets négatifs de sa douleur aux soignants / médecins.
Pour une gestion de la douleur personnalisée, multidisciplinaire et centrée sur le patient.
De même, nous sommes optimistes sur le fait que la définition révisée puisse conduire le médecin non seulement à écouter les plaintes du patient concernant la douleur, mais aussi à s’enquérir de la manière dont sa douleur interfère avec ses activités quotidiennes, sa qualité de vie, ses relations et ses interactions sociales. Ces informations aideront le soignant à développer une stratégie de gestion de la douleur personnalisée, multidisciplinaire et centrée sur le patient.
Très intéressant comme article et très précis.